★ ... j'ai besoin de changer d'air... ★
Tu es un homme, à présent, mon fils.Le soleil brillait ce jour-là. Fier, Oz avait regardé son père partir. Il était encore jeune, son père. Il était dans l’armée, il devait partir au combat dans un royaume voisin. Lena avait à peine dix ans, elle jouait tranquillement dans la maison, se rendant à peine compte que c’était la dernière fois qu’elle voyait son père. Et puis il y avait Ilse. Alors que Oz se sentait plus grand, plus fort que jamais, il avait vu sa mère pleurer pour la première fois de sa vie.
Oz fait partie du petit peuple de Corona. De ceux que l’on n’entend jamais, et qui pourtant font vivre le royaume. Il travaille à la scierie, au bord de l’eau. Tous les jours, il balance les troncs dans la machine, attendant qu’ils se fassent découper pour récupérer les bûches. Et puis, il livre. Partout, chez les pauvres, les riches, dans les échoppes. Il rêve à une vie meilleure en passant dans la ville. Mais il n’a pas le choix. Oz, il n’a jamais eu le choix. Depuis ce jour où son père est parti sans jamais revenir, il a dû travailler. Il s’est vite rendu compte que ce n’était pas ce qu’il s’imaginait quand on lui avait annoncé qu’il était devenu l’homme de la famille. Ce qu’il fallait, c’était un emploi, et vite. Il a pris le premier qu’il avait trouvé, en se disant qu’il pourrait changer ensuite. Il n’avait jamais changé.
Oz, il a passé sa vie à se plier en quatre pour sa famille. Trop gentil, trop dévoué, qu’est-ce qu’il aurait pu faire d’autre ? Sa mère ne pouvait pas les faire vivre lui et sa sœur. Non, elle était tombée malade. Certains disaient que c’était à cause de la tristesse, de la solitude. Alors Lena restait à veiller sur elle. Et Oz, il n’a pas vu sa vie passer. Pas de femme, pas d’enfants. Que des aventures sans lendemain. Et pourtant, il n’avait pas le choix. S’il devait recommencer, il le ferait. Quel genre d’homme aurait-il été s’il avait laissé sa mère et sa petite sœur seules ? Sans hésiter, il a mis sa vie entre parenthèses pour faciliter la leur.
Et puis un jour, alors qu’il avait à peine dépassé la vingtaine, Lena est partie. De cinq ans plus jeune qu’Oz, elle venait d’obtenir sa majorité. Sans se retourner, elle avait passé la porte de la petite maison familiale en jurant qu’elle trouverait une vie meilleure ailleurs. Elle n’avait pas besoin de sa mère, pas besoin de son frère. Lassée de s’occuper de leur mère en attendant le retour de leur père, lassée de ne vivre que sur le salaire d’Oz. Tout ce qu’elle voulait, c’était la liberté. Et Dieu comme il la comprenait. Comme il se serait vu partir, lui aussi, chercher une vie ailleurs, loin du royaume qui ne leur avait jamais rien apporté. Mais elle était là, Ilse, et jamais il ne l’aurait abandonnée. Jamais.
Peut-être que c’était moins difficile financièrement, avec une bouche en moins à nourrir. Peut-être que le travail d’Oz lui semblait plus facile à mesure qu’il prenait en carrure, en expérience. Pourtant, la compagnie de sa mère lui semblait bien pesante. Rares étaient pour lui les occasions de rencontrer des gens, et peut-être que c’est ce manque de contacts humains qui a forgé sa timidité.
Un jour, un soir plus précisément, Oz était rentré du travail un peu tard. Sa mère l’attendait, elle avait préparé à manger pour eux. C’était les dernières choses qu’ils partageaient, la confection de repas. Ils avaient mangé tranquillement pendant que le jeune homme racontait ce qu’il avait fait de sa journée. Une fête avait lieu au palais, il avait dû y apporte une grosse quantité de bois de chauffage. C’était là les seuls moments où il s’approchait du palais. Les bals, les fêtes, il n’y prenait évidemment pas part. Et cette nuit-là, il n’avait pas regretté d’être loin. C’était parti du château. Les cris s’étaient rapprochés, les gens fuyaient la ville. Oz n’avait pas compris ce qui se passait tout de suite, pourtant quand la milice était entrée dans le village, c’était clair. Ils s’en prenaient à tous les sorciers qu’ils croisaient. Ilse s’était redressée, inquiète, et Oz lui avait simplement dit que tout allait bien. Le visage tendu, il ne savait que faire entre risquer de laisser sa mère seule et laisser des sorciers se faire massacrer sur le pas de sa porte. Le choix était difficile, trop difficile. Appuyé contre sa fenêtre, il regardait la scène se dérouler comme s’il ne pouvait en faire partie. Et un homme est venu. Il était jeune, plus jeune que lui. Il avait frappé contre la fenêtre pour le supplier de le cacher, et Oz avait ouvert. Discrètement, dans le plus grand des secrets, il avait caché ce jeune homme dans la chambre de sa mère endormie. Le lendemain, il s’était enfui.
Hasard ou coup du sort, l’été qui avait suivi la purge fut le dernier d’Ilse. Oz ne savait pas si la maladie l’avait emportée, ou si c’était la simple idée de toute cette violence qui lui avait enlevé l’envie de vivre. Elle avait été enterrée simplement, sobrement. Et quand Oz était rentré, il était seul à crever. Pour la première fois depuis qu’il était adulte, il avait pleuré. La douleur avait duré des jours pour s’estomper peu à peu. Il n’était pas du genre à se morfondre, il allait de l’avant. Sans plus personne à sa charge, son rêve d’ouvrir sa boulangerie reprenait forme dans son esprit. S’il culpabilisait de se sentir libéré du poids qui pesait sur ses épaules, il se mit tout de même à économiser.
Quatre ans passèrent. Quatre années où Oz connut enfin une vie où il ne s’occupait que de lui. Les amis, les femmes, la bière aussi. C’était tellement facile qu’il pensait pouvoir vivre son rêve. Ses économies commençaient à être conséquentes et il le savait, il allait bientôt pouvoir ouvrir son échoppe. Il venait d’avoir trente ans et enfin, il se sentait heureux. Il était sûr de pouvoir aller vivre en ville, se marier, fonder une famille. Mais sa famille, elle n’était pas là où il l’imaginait. Un soir, on avait frappé à sa porte alors que son dîner mijotait. Il n’attendait personne, alors c’est surpris qu’il était allé ouvrir. Ouvrir pour tomber sur Lena. Le choc l’avait laissé muet, mais pas moins en colère pour autant. Elle pleurait. Sa recherche d’une nouvelle vie avait été un échec, et pourtant elle avait voyagé. Fou de rage, Oz n’avait réussi qu’à lui répéter les mots qu’elle avait elle-même dits quand elle était partie. Mais il s’était arrêté. Sous la robe de sa sœur, son ventre était étonnement rond.
Lena était revenue, et seule la naissance de la petite Erika avait apaisé la colère d’Oz. Si la jeune mère avait quelques économies, si elle se faisait payer pour réaliser de petits travaux de couture, tout cela n’était pas suffisant. Bientôt, les économies d’Oz durent diminuer aussi. A nouveau, il travaillait pour sa famille. Pour sa sœur, pour sa si petite nièce. Les nuits étaient difficiles, les journées aussi. Il régnait pourtant une ambiance bien différente dans la maison. Plus mature et plus calme, Lena entretenait la demeure autant qu’elle le pouvait. Erika, elle, grandissait tout doucement, offrant les plus beaux des sourires à sa mère et son oncle. Et Oz, il ne pouvait rien dire. Il était heureux, d’une autre façon, certes, mais heureux. Il n’était plus seul, et sa relation avec sa sœur s’était apaisée.
Et un jour, il réaliserait son rêve. Il partirait en laissant assez à sa sœur et sa nièce de quoi vivre tranquillement. Il ne partirait pas loin. Mais un jour, sa vie commencerait pour de vrai.
★ ... et mettre fin au mystère ! ★